Section 7 of `Esquisse d'un Programme', A., Grothendick, 1983
[The full text is published in Geometric Galois actions: Vol 1 Around Grothendieck's Esquisse d'un programme, ed. Leila Schneps, Pierre Lochak, LMS Lecture Notes in Math 242, 1997, CUP.]
Depuis le mois de mars de l'an dernier, donc depuis près d'un an, la plus grande partie de mon énergie a été consacrée à un travail de réflexion sur les fondements de l'algèbre (co)homologique non commutative ou ce qui revient au même, finalement, de l'algèbre homotopique. Ces réflexions se sont concrètisée par un volumineux paquet de notes dactylographiées, destinées à former le premier volume (actuellement en cours d'achèvement) d'un ouvrage en deux volumes à paraître chez Hermann, sous le titre commun ``À la Poursuite des Champs''. Je prévois actuellement (après des élargissements successifs du propos initial) que le manuscript de l'ensemble des deux volumes, que j'espère en cours d'année pour ne plus avoir à y revenir, fera dans les 1500 pages dactylographiées. Ces deux volumes d'ailleurs sont pour moi les premiers dans une série plus vaste, sous le titre commun ``Réflexions Mathématiques'', où je compte développer tant soit peu certains des thèmes esquissés dans le présent rapport.
Vu qu'il s'agit d'un travail en cours de rédaction, et même d'achèvement, dont le premier volume sans doute paraître cette année et contiendra une introduction circonstanciée, il est sans doute moins intéressant que je m'étende ici sur ce thème de réflexion, et me contenterai donc d'en parler très brièvement. Ce travail me semble quelque peu marginal par rapport aux thèmes que je viens d'esquisser, et ne représent pas (il me semble) un véritable renouvellement d'optique ou d'approche par rapport à mes intérêts et ma vision mathématiques d'avant 1970. Si je m'y suis résolu soudain, c'est presque en déserpoir de cause, alors que près de vingt ans se sont écoulés depuis que se sont posées en termes bien clairs un certain nombre de questions visiblement fondamentales, et mûres pour être menées à leur terme, sans que personne ne les voie, ou prenne la peine de les sonder. Aujourd'hui encore, les structures de base qui interviennent dans le point de vue homotopique en topologie, y compris même en algèbre homologique commutative, ne sont pas comprises, et à ma connaissance, après les travaux de Verdier, de Giraud et d'Illusie sur ce thème (qui constituent autant de ``coups d'envoi'' attendant toujours une suite ... ) il n'y a pas eu d'effort dans ce sens. Je devrais faire exception sans doute pour le travail d'axiomatisation fait par Quillen sur la notion de catégorie de modèles, à la fin des années 60, et repris sous des variantes diverses par divers auteurs. Ce travail à l'époque, et maintenant encore, m'a beaucoup séduit et appris, tout en allant dans une direction assez différent de celle qui me tenait et tient à coeur. Il introduit certes des catégories dérivées dans divers contextes non commutatifs, mais sans entrer dans la question des structures internes essentielles d'une telle catégorie, laissée ouverte également dans le cas commutatif par Verdier, et après lui par Illusie. De même, la question de mettre le doigt sur les ``coefficients'' naturels pour un formalisme cohomologique non commutatif, au delà des champs (qu'on devrait appeler 1-champs) étudiés dans le livre de Giraud, restait outverte - ou plutôt, les intuitions riches et précises qui y répondent, puisées dans des exemples nombreux provenant de la géométrie algébrique notamment, attendent toujours un langage précis et souple pour leur donner forme.
Je reviens sur certains aspects de ces questions de fondements en 1975, à l'occasion (je crois me souvenir) d'une correspondance avec Larry Breen (deux lettres de cette correspondance seront reproduites en appendice au Chap. I du volume 1, ``Histoire de Modèles'', de la Poursuite des Champs). A ce moment apparaît l'intuition que les ¥-groupoïdes doivent constituer des modèles, particulièrement adéquats, pour les types d'homotopie, les n-groupoïdes correspondant aux types d'homotopie tronqués (avec pi = 0 pour i > n). Cette même intuition, par des voies très différentes, a été retrouvée par Ronnie Brown à Bangor et certains de ses élèves, mais en utilisant une notion de ¥-groupoïde assez restrictive (qui, parmi les types d'homotopie 1-connexes, ne modélise que les produits d'espaces d'Eilenberg-Maclane). C'est stimulé par une correspondance à bâtons rompus avec Ronnie Brown, que j'ai finalement repris une réflexion, commençant par un essai de définition d'une notion de ¥-groupoïde plus large (rebaptisé par la suite ``champ en ¥-groupoïdes'' ou simplement ``champ'', sous-entendu : sur le topos ponctuel), et qui de fil en aiguille m'a amené à la Poursuite des Champs. Le volume ``Histoire de Modèles'' y constitue d'ailleurs une digression entièrement imprévue par rapport au propos initial (les fameux champs étant provisoirement oubliés, et n'étant prévus réapparaître que vers les pages 1000 environ ...).